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Les sentiers de l’abolition et les erreurs judiciaires : publication de la version française de deux études sur les pratiques des États face à la peine de mort
Le Centre Cornell sur la peine de mort (Cornell Center on the Death Penalty Worldwide) est heureux d’annoncer la publication des versions françaises de deux rapports qui analysent de manière comparative les différentes approches des États face à la peine de mort et contribuent ainsi à étayer le débat sur son abolition.
Le premier rapport, « Peine de mort : les sentiers de l’abolition », examine les processus historiques et politiques ayant mené dans 14 juridictions à l’abolition en droit de la peine de mort. Ce rapport fait suite à l’étude « Comment les États abolissent la peine de mort » menée en 2013 dans 13 pays par la Commission internationale contre la peine de mort.
Les pays sélectionnés dans le présent rapport couvrent chaque continent ainsi que différentes époques et représentent diverses traditions juridiques et culturelles, systèmes politiques et conditions socio-économiques. Cette étude expose les différentes méthodes employées pour parvenir à l’abolition et le rôle des acteurs étatiques et non-étatiques, de la société civile, des organisations internationales et de l’opinion publique, afin d’en dégager des leçons utiles pour les acteurs d’aujourd’hui engagés sur la thématique de la peine de mort.
Les débats nationaux sur les mérites et défauts de la peine de mort gravitent souvent autour de problématiques similaires : la question de la dissuasion, le risque d’exécuter une personne innocente et la nécessité de se conformer aux normes internationales relatives aux droits de l’Homme. L’abolition devient souvent possible lorsque les termes du débat sont altérés par de nouvelles évolutions (par exemple un cas de personne innocentée très médiatisé) et lorsque les dirigeants politiques saisissent ces opportunités pour avancer sur le front de l’abolition. Dans certains pays, l’abolition a été le résultat d’amendements législatifs, de réformes constitutionnelles, de décrets exécutifs et de la ratification de traités internationaux. Dans certains cas, la peine de mort a été abolie seulement quelques mois après la dernière exécution ; dans d’autres, il a fallu attendre des décennies.
Il ressort de ce rapport que les processus d’abolition sont complexes et comprennent une multitude d’aspects politiques, historiques et sociaux. La relation de chaque État à la peine de mort reflète certes son histoire et les circonstances qui lui sont propres, cependant, des exemples de pays qui ont aboli peuvent être trouvés dans tous les continents, systèmes juridiques, traditions et religions du monde.
Le deuxième rapport, « Déni de justice : une étude mondiale sur les erreurs judiciaires dans les couloirs de la mort », constitue une première tentative d’identification des facteurs systémiques qui accroissent la probabilité qu’une personne innocente soit condamnée à mort. Ce rapport met en lumière des affaires dans lesquels des personnes innocentes ont été condamnées à mort dans six pays de régions, cultures et systèmes politiques différents : le Cameroun, l’Indonésie, la Jordanie, le Malawi, le Nigéria, et le Pakistan. Pour chaque pays étudié, une analyse des défaillances du système de justice pénale ainsi qu’une étude de cas d’erreur judiciaire (un cas où les preuves disponibles indiquent que la personne prévenue est innocente du crime pour lequel elle a été condamnée) ont été réalisées. Les cas présentés illustrent le fossé problématique entre les garanties constitutionnelles et législatives en faveur des prévenus encourant la peine capitale et l’incapacité des États à mettre en œuvre ces garde-fous dans la pratique.
Ainsi en 2016, au moins 60 personnes détenues ont été innocentées après avoir été condamnées à mort. Ce nombre représente toutefois une infime fraction des personnes actuellement dans les couloirs de la mort pour un crime qu’elles n’ont pas commis. Peu de personnes détenues innocentes sont à même de s’adresser aux tribunaux, faute d’avocat·es ou en raison de l’absence de mécanismes procéduraux leur permettant de présenter de nouvelles preuves attestant de leur innocence. Par conséquent, les erreurs judiciaires sont rarement signalées.
Les expériences de ces femmes et hommes privés de leur liberté et de leur droit à la vie témoignent que chaque pays qui continue d’appliquer la peine de mort court le risque d’exécuter une personne innocente et aucun système de justice pénale n’est exempt d’erreur, quel que soit le système, la région ou le régime politique. Face à ce constat, le rapport émet des recommandations de réformes afin de réduire le risque d’erreurs judiciaires et de condamnations à mort injustifiées. Cependant aucun système, aussi performant soit-il, ne peut éliminer le risque d’erreur judiciaire. Aussi longtemps que les États maintiendront la peine de mort, des personnes innocentes continueront à en payer le prix, au prix de leur vie.
— Anna Kiefer