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Fati : Une femme innocente condamnée à mort pour terrorisme après avoir été faussement dénoncée par un prétendant éconduit

Fati a grandi dans une famille pauvre à Mokolo, une petite ville du département de Mayo-Tsanaga dans le nord du Cameroun. Sa langue maternelle est le mafa, une langue locale. Elle n’a pas été élevée avec le français mais parle un peu le fulfuldé, une langue plus répandue dans la région. Enfant, elle n’est allée à l’école que deux jours. Sa mère l’a empêchée d’y retourner, déclarant que la famille ne pouvait se permettre d’envoyer que ses frères à l’école. En conséquence, Fati ne sait ni lire ni écrire. Après avoir épousé son mari à l’âge de 15 ans, elle s’est installée à Kolofata, la ville natale de son mari, plus au Nord. Fati cultivait des arachides, produisait de l’huile d’arachide et vendait des biscuits. Son mari utilisait la poudre d’arachide restante pour faire des brochettes de viande et les vendre. Leur vie était marquée par la pauvreté et de nombreuses épreuves. Fati a accouché dix fois, mais seuls trois de ses enfants ont survécu. Aujourd’hui, ils sont âgés de 13, 16 et 20 ans.

En septembre 2015, après 20 ans de mariage, la vie de Fati a été bouleversée lorsque Boko Haram a attaqué Kolofata. Le mari de Fati, ainsi que plusieurs autres personnes, sont morts dans un attentat à la bombe.

Les combattants de Boko Haram traversent fréquemment la frontière nigériane pour lancer des attaques contre des cibles militaires et civiles dans les villages de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. En réponse à cette menace constante, des comités de vigilance ont été mis en place par des civils dans de nombreux villages de la région. Il s’agit de groupes structurés de manière informelle, composés de volontaires de la communauté, dont la principale fonction est de surveiller les entrées et sorties des personnes dans leurs villages et d’informer les autorités de toute activité suspecte. Selon des rapports crédibles, les comités de vigilance peuvent agir sur la base de dénonciations motivées par des conflits personnels qui ont, dans certains cas, conduit à la condamnation à mort pour terorrisme de personnes innocentes[1]. Jusqu’à sa mort, le mari de Fati était à la tête du comité de vigilance de leur village.

Selon Fati, son voisin, qui était également membre du comité de vigilance, lui faisait la cour depuis un certain temps, sans qu’elle ne lui rende la pareille. Après les funérailles de son mari, il lui a demandé de l’épouser. Fati a refusé. Furieux, il l’a alors menacée de la dénoncer comme membre de Boko Haram si elle continuait à lui dire non.

Plusieurs mois plus tard, en janvier 2016, le voisin de Fati et d’autres membres du comité de vigilance de Kolofata l’ont arrêtée et emmenée dans un camp militaire. En chemin, ils l’ont agressée si violemment qu’elle est arrivée inconsciente à la base militaire. Là, le comité l’a accusée d’être complice de l’attaque de Boko Haram qui avait tué son mari. Quatre membres du comité ont déclaré à la police qu’ils avaient entendu dire – bien qu’ils n’aient jamais précisé par qui – que Fati avait eu connaissance de l’attaque au préalable et qu’elle en aurait parlé à son mari et à d’autres villageois.

Pendant trois mois, Fati a été détenue à la base militaire, où elle a été interrogée sans relâche et menacée avec une arme. Elle ne comprenait pas le français, la langue de l’enquête, et parlait peu le fulfuldé, la langue locale parlée par la plupart de ses interrogateurs. Personne ne lui a fourni un interprète ou ne lui a dit qu’elle pouvait demander un avocat. Maltraitée et intimidée, sans accès à un avocat, ne comprenant ni les accusations portées à son encontre, ni la procédure judiciaire, Fati répétait pourtant sans cesse qu’elle était innocente.

L’enquête n’a révélé aucune preuve de l’implication de Fati dans le groupe terroriste. Les témoignages des villageois, qui constituent la seule preuve contre Fati, sont étonnamment vagues, contradictoires et empreints de préjugés sexistes. Bien qu’elles ne comptent que trois ou quatre phrases, les déclarations ne concordent pas sur ce que Fati aurait dit, à qui elle l’aurait dit, et si c’était avant ou après un prétendu voyage au Nigeria. En outre, deux des témoins ont fait état de rumeurs non fondées de querelles conjugales entre Fati et son mari. L’un d’entre eux est allé jusqu’à rapporter une rumeur selon laquelle Fati était secrètement mariée à un second mari au Nigeria, un combattant de Boko Haram – une allégation que l’accusation n’a jamais étayée par des preuves et que Fati n’a jamais eu l’occasion de réfuter. En détruisant la réputation de Fati et en la présentant comme une épouse infidèle, ces témoignages suivent la stratégie discriminatoire que le Projet Alice a mise en évidence dans tant d’autres poursuites contre des femmes dans le cadre d’affaires de peine capitale : d’abord, on dévalorise la personne de l’accusée en lui reprochant d’avoir transgressé les normes se rapportant au genre, puis on lie ces transgressions au crime présumé.

En octobre 2016, après dix mois de détention sans inculpation, Fati a été traduite devant le tribunal militaire de Maroua, où elle a été accusée de complicité avec des actes de terrorisme. Lors de l’audience, Fati a été représentée par un avocat stagiaire qu’elle n’avait jamais rencontré. En effet, elle n’a pas échangé une seule parole avec la personne chargée de la défendre. Pendant le procès, Fati ne l’a pas entendu prononcer un mot pour sa défense. Après un procès expéditif au cours duquel aucun témoin n’a été entendu, le tribunal a déclaré Fati coupable et l’a condamnée à mort par peloton d’exécution, sur la seule base des rumeurs rapportées par ses voisins. Reconnue coupable d’un crime dont elle était innocente, Fati était en état de choc :

« Je me suis sentie complètement abandonnée, j’étais seule, sans aucun soutien, il n’y avait personne pour m’expliquer clairement les choses afin que je puisse comprendre. Je n’ai rien compris parce que j’ai été amenée au tribunal où personne ne m’a posé de questions. J’étais en prison quand un gardien m’a dit que j’avais été condamnée. Ce qui m’a semblé confus, c’est que j’attendais de pouvoir m’exprimer devant le Tribunal et rien ne s’est passé, j’ai juste appris ma condamnation. »

Fati est incarcérée depuis 2016 à la prison centrale de Maroua, qui est connue pour ses conditions d’insalubrité mettant en danger la vie des personnes détenues et pour sa forte surpopulation (construite pour 350 personnes détenues, la prison en abrite plus de 1 400). En prison, Fati n’a pas accès à une alimentation adéquate, et ne reçoit presque aucun soin médical. Comme elle le décrit,

« Je me sens lasse, fatiguée car cela fait presque six ans que je suis en prison. Notre cellule est une chambre d’environ 3 mètres sur 4 et nous sommes environ 14 à 17 à l’intérieur. Il y a des lits superposés et nous dormons sur les lits et celles qui n’ont pas de places dans les lits se couchent par terre. »

Comme beaucoup de personnes soupçonnées de terrorisme, Fati n’a pas reçu la moindre visite depuis son arrestation. Lorsqu’elle a été arrêtée pour la première fois, sa famille a essayé de lui rendre visite au camp militaire, mais on les a empêchés d’entrer. Fati n’a eu aucun contact avec sa famille, y compris ses enfants, depuis son arrestation. Le plus jeune enfant de Fati n’avait que sept ans à l’époque, et ses deux plus jeunes enfants vivent toujours à Kolofata, avec le Blama, un chef local. Son enfant aîné vit au Nigeria avec son frère, mais elle n’a pas pu obtenir son numéro de téléphone malgré ses nombreuses demandes.

En 2019, l’avocat camerounais Nestor Toko, président du Réseau des avocats camerounais contre la peine de mort, s’est rendu à Maroua et a rencontré Fati en prison. Convaincu qu’elle avait été accusée à tort et préoccupé par le récit qu’elle a fait de son arrestation et de son procès, il a accepté de la représenter à titre gracieux et a aidé Fati à faire appel de sa condamnation.

Fati attend maintenant son audience devant la Cour d’appel, qui aura lieu le 12 novembre 2021.

[1] Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, Déni de justice: Une étude mondiale sur les erreurs judiciaires dans les couloirs de la mort (disponible uniquement en anglais), pp. 13-18, https://deathpenaltyworldwide.org/fr/publication/deni-de-justice-une-etude-mondiale-sur-les-erreurs-judiciaires-dans-les-couloirs-de-la-mort-2/, janv. 2018.

Amnesty International, Rapport 2016/2017 : La situation des droits humains dans le monde, pp.136-140, POL 10/4800/2017, fév. 2017.